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Raggi Anne-Marie (1918 – 2004), la grande amazone de la marche sur Grand-Bassam

L'histoire est un témoignage. Le professeur Samba Diarra, auteur des « faux complots d'Houphouët », ne veut pas s'y dérober. Cette fois, le professeur, par devoir de mémoire, rend hommage à une héroïne du PDCI-RDA : Anne-Marie Thomas Colle-Raggi. M. Samba Diarra donne un pan méconnu mais important de l'histoire de cette grande dame, dont l'origine prend carrément le contre pied du concept d'ivoirité.Je n'ai pu résister à la tentation d'apporter, même après coup, ma modeste page d'hommage à la défunte.

Une maman qui a laissé une marque indélébile à la lutte pour l’émancipation du Cotivoirien, nom donné à l’habitant du territoire de la Côte d’Ivoire, en ces temps-là. Plusieurs raisons à ma pulsion d’hommage. D’abord, Anne-Marie est née à Lozoua, près de Grand-Lahou, une métropole du début de la colonisation, où je passai mon adolescence. Mon grand-père a bien connu son père Thomas Colle, originaire de Rufisque au Sénégal, et sa mère Fanti, immigrée de la Gold-Coast (Ghana).

Par ailleurs, de solides liens amicaux ont lié son époux Louis Raggi, franco-libanais, et elle, à la famille Amadou Seye, ma belle-famille. Amadou Seye, ancien combattant de la première guerre mondiale, accompagna Galandou Diouf, député du Sénégal, à Grand-Bassam, puis immigra dans cette ville, qui lui rappelait étrangement son île de N’Guet N’Dar natal à l’embouchure du fleuve Sénégal à Saint-Louis.

Que de fois, Anne-Marie et moi n’avons-nous pas évoqué des souvenirs de Lozoua, de Grand-Lahou et de Grand-Bassam. En ces temps de vestiges toujours vivaces d’ivoirité, l’on ne peut pas rappeler que l’héroïne du PDCI-RDA que fut Anne-Marie a baigné dans la francité sénégalaise et libanaise, la ghanéité et la Cotivoirienneté.

A la réflexion n’est ce pas tout cela qui sous-entend le militantisme sans peur ni reproche d’Anne-Marie ? Le boycott d’achat des produits manufacturés renvoie étrangement à celui mis en œuvre le 11 Janvier 1950 par le CPP (Convention People Party) de Kwame N’Krumah. De même la marche des femmes du PDCI-RDA des 22, 23, 24 Décembre 1949 sur la prison civile de Grand-Bassam ressemble à celle des femmes du CPP sur la maison d’arrêt de James Fort d’Accra, après l’arrestation le 22 Janvier 1950 de N’Krumah. Les amazones de Côte d’Ivoire, parvenues à Bassam en surmontant mille et un obstacle se sont trouvées confrontées aux jets d’eau et de gaz lacrymogène sur le pont entre Impérial et le quartier France. Elles manifestaient pour revendiquer un jugement diligent des hiérarques du PDCI-RDA incarcérés après le 6 Février 1949.

La vérité historique oblige à rapporter que cette belle épopée bassamoise fut ramenée lors du colloque du RDA à Yamoussoukro en 1985, à une banale action de sauvetage des « amours » des amazones, sur incitation de Gabriel d’Arboussier. Celui-ci aurait eu tort d’escompter sur le soutien des Appoloniens, alors que ces derniers seraient dépourvus de tout instinct de combativité. O, quelle dénaturation ! Passons.

Une autre vérité historique ne peut être tue. C’est l’emprisonnement d’Anne-Marie en 1963 pour présomption de complot contre Houphouët Boigny. Avec tous les héros de la lutte anti-coloniale, Jean-Baptiste Mockey, Germain Coffi Gadeau, Jérôme Batafoué Alloh, René Séry Koré et Albert Paraïso, anciens pensionnaires de la prison de Grand-Bassam. C’est dans sa geôle de Yamoussokro qu’Anne-Marie apprit le décès de son époux en France, dans le dénuement le plus complet, après l’expulsion de ce dernier de la Côte d’Ivoire, pour complicité de complot contre Houphouët Boigny avec l’ancienne amazone. Et pourtant Louis Raggi fut un riche homme d’affaires qui a financé le PDCI-RDA. Ainsi, Anne-Marie a-t-elle bu jusqu’à la lie le calice de la honte et de l’opprobre.

Et ce n’est pas tout. En Janvier 1965, Anne-Marie est des absous amenés au Boxing-Club de Treichville, pour attester avoir comploté contre Houphouët Boigny. Figurent parmi les absous, témoins à charge, en particulier, Alloh, Gadeau et Séry Koré, qui, toute honte bue, avoueront avoir comploté. Seule Anne-Marie refusera de boire la ciguë du déshonneur et de l’indignité. Elle déclare sans ambages qu’il n’y a jamais eu de complot. A la grande stupéfaction et à l’indicible frayeur de ses compagnons absous. Quelle leçon de courage et de vérité à tous ceux-là censés être porteurs « du solide entre les jambes », selon Ahmadou Kourouma. Il faut attendre plus de six ans après, le 9 Mai 1971 pour que Houphouët Boigny se résolve à avouer aux pensionnaires d’Assabou : « Tous les complots pour lesquels vous avez été jetés en prison ne sont qu’une invention du sinistre Commissaire de Police, Pierre Goba, policier véreux et ambitieux, qui a voulu ainsi obtenir un poste important. Il m’a trompé. Je vous demande pardon. Le mal qui a été fait ne pourra jamais être fait ne pourra jamais être totalement réparé …». Grande dame de cœur et d’amour, fervente croyante catholique, nourrie au berceau des valeurs de liberté, d’égalité, de justice et de fraternité, toujours généreuse, compatissante, ouverte et serviable, Anne-Marie a tout pardonné, voire tout oublié des incohérences du PDCI-RDA, et est demeurée une militante de conviction de ce parti jusqu’à la fin de ses jours. Honneur à la grande amazone de la marche sur la prison civile de Grand-Bassam, et au parangon de la lutte de libération !

Paix à son âme ! Que le très miséricordieux la reçoive dans son royaume ! Quelle serve de modèle de grandeur d’âme et de foi en une Côte d’Ivoire pluriethnique, multiculturelle et protéïconfessionnelle, ouverte, unie et solidaire, intégrée à sa sous-région, au reste de l’Afrique et au village planétaire qu’est devenu le monde !

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