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Le mariage en pays Sénoufo Nanfanra

Comme chez tous les peuples de Côte d'Ivoire, le mariage traditionnel se pratique en pays Sénoufo depuis la nuit des temps. Nous n'exposerons que sur le cas des Sénoufo Nafara de Côte d'Ivoire.

La précision du terme Nanfanra est ici importante, car les Sénoufo sont nombreux, et il y en a aussi au Mali et au Ghana. Comme la plupart des peuples ivoiriens, tels que les Baoulés et les Gouros, les Sénoufo sont constitués en plusieurs sous-groupes et il y a parfois quelques nuances d’un groupe à un autre. Le groupe Nafara de Côte d’Ivoire s’étend entre Korhogo et Ferkéssédougou et occupe en particulier le département de Sinématiali. Le mariage en pays Sénoufo Nanfanra traditionnel, comme chez tous les peuples de notre pays, est différent du mariage occidental.

La femme qui devient épouse ne quitte jamais ses parents pour suivre son mari. Cette disposition du mariage chez les Sénoufos Nanfanra est en parfaite harmonie avec les Saintes Ecritures qui stipulent que : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair (Genèse 2:24) », en pays Sénoufo Nanfanra, la femme ne quitte pas sa famille d’origine pour ce qui concerne les différentes étapes qui conduisent au mariage. En effet, une nouvelle famille doit d’abord se détacher du tronc qui l’a portée, afin de devenir tronc à son tour

Le terme «s’attacher à » signifie « adhérer à, coller à, se joindre à ». Au plan social, la première étape, tel que voulue par les Sénoufo Nafara et décrite plus haut, consiste à se déplacer pour «aller vers » sa future épouse, qui se vérifie par le fait d’aller travailler dans le champ du père et de l’oncle de cette dernière, même s’ils ne peuvent se voir. Il est vrai que cela permet de découvrir le prétendant, ses qualités, sa force à labourer puisque le Sénoufo Nanfanra est un cultivateur. C’est l’homme qui doit le faire, puisque c’est lui qui demande.

D’abord, la jeune fille est souvent repérée très jeune, entre dix et quinze ans, généralement dans un village proche de celui du futur mari. Traditionnellement, il n’y avait ni route, ni voitures. Il n’y avait que des sentiers et les gens se déplaçaient à pied. La bicyclette est arrivée plus tard. À cette époque-là, il fallait que les deux futurs conjoints ne soient pas très éloignés l’un de l’autre, étant entendu que la femme ne rejoint pas son mari. Lorsque la fillette est repérée, c’est soit un ami de la famille du futur mari, soit un de ses parents, son cousin ou quelqu’un de la famille qui commence les démarches auprès des parents de cette dernière. Il peut par exemple leur dire ceci: « nous avons un jeune homme âgé de dix-huit ans qui est intéressé par votre fille. Nous souhaiterions qu’il soit son mari. » À partir de cet âge-là, c’est-à-dire entre dix et quinze ans, les parents de la jeune fille (la maman, l’oncle etc.) se concertent et donnent leur accord quant aux fiançailles.

L’étape des fiançailles

Comment se présentent les fiançailles en pays Sénoufo Nanfanra à partir de cet instant ? Le projet de mariage est communiqué à la famille du mari et dès que cette communication, il sait que sa future femme pourrait être la jeune fille dont on lui a parlée. Dès lors, chaque année, il doit réunir les jeunes gens en âge de son village pour aller cultiver une fois par an le champ de l’oncle. Pourquoi l’oncle ? Parce que l’oncle représente le pivot de toute l’opération, comme dans le système matriarcat en pays Akan. Il faut donc cultiver son champ, et en plus de l’oncle, celui du père. Tout cela se passe du côté de la femme. Cette étape va durer près de cinq ans, le temps qu’elle atteigne dix-huit ou vingt ans. Cette partie de l’union entre deux êtres, un homme et une femme, démontre que l’âge de la majorité était inscrit dans les faits sociaux de nos peuples, qu’elle n’est pas l’apanage de l’Occident, comme on voudrait nous le faire croire.

D’ailleurs, comme la plupart des caractéristiques de la culture occidentale, nos peuples avaient une culture solide de l’être. À partir de la cinquième année, la jeune fille peut être considérée comme apte au mariage, c’est-à-dire qu’elle a l’âge d’être femme parce qu’en pays Sénoufo Nanfanra, à quinze ans, seize ans, dix-huit ans, on était déjà sur cette voie-là. Il n’y a pas un âge précis à partir duquel l’on peut dire, c’est à vingt ans ou vingt-deux ans, mais on peut être marié entre quinze et vingt ans. Pendant la période des fiançailles, les mêmes cultures doivent se faire chez les deux ou trois membres de la famille de la jeune fille. Pendant ce temps également, lorsque le jeune homme veut rendre visite à son futur beau-père (au cours des funérailles et lors des évènements importants, etc.), la fille doit se cacher. Elle ne doit pas être vue par son futur époux et elle est toujours prévenue d’avance, de sorte que dès que le garçon pointe à l’horizon, elle s’éclipse. L’interprétation qu’on peut en faire est la forme sacrée que revêt l’acte de mariage. Cela peut également donner plus d’envie, susciter l’attirance entre les deux prétendants. Cela signifie clairement que les deux observent la chasteté durant tout le temps des fiançailles puisqu’ils ne peuvent se voir. Même s’il la rencontre quelque part, il ne peut la reconnaitre.

Avant d’en arriver au mariage, si par malheur, la jeune fille décède, même si la tradition Senoufo ne l’a pas expressément prévu, généralement la famille de la fille la remplace par une sœur ou une cousine proche, si évidemment le garçon accepte. Dans le cas contraire, tout s’arrête là. Si cela arrive, les parents du jeune homme participent aux funérailles dans la mesure où ils étaient fiancés.

L’étape du mariage

L’année du mariage, les parents (l’oncle, les amis) vont maintenant aller officiellement demander la main. Pour demander la main, le jeune homme doit apporter pour l’oncle de la jeune fille un fagot de bois. En pays Sénoufo et dans les régions de savane, nous avons des problèmes de bois. Nous n’avons pas de forêt et le bois est un élément important. Un fagot de bois ou un gros morceau d’arbre ou de bois sec. La famille fournit également des poules, le nombre dépend de la situation sociale du jeune homme ou de ses parents. Il y a également des tissus traditionnels de coton qu’on offre à l’oncle et à la mère. Après cette opération, on décide qu’à partir de telle date, c’est sa femme. Il n’y a pas de cérémonie particulière de mariage. On ne va pas devant des autorités traditionnelles ou devant le chef du Poro.

Le jeune homme est autorisé à prendre pour épouse la jeune fille et c’est là où se trouve le point curieux, le marié et la mariée n’habitent pas ensemble. La mariée reste dans sa famille d’origine. Chez le peuple Sénoufo Nanfanra, la cellule familiale est très forte. Dans la famille d’origine, chez nous, ce qui est sûr c’est votre mère. Le père est pratiquement perçu comme un géniteur. Le sang sûr, c’est le sang de la maman et la fille ne quitte pas son village et sa famille pour aller vivre dans le village et dans la famille du mari. C’est le mari qui tous les soirs, à partir de dix-huit, dix-neuf heures, prend la route du village de sa jeune femme.

Tout comme, je vous l’ai dit, avant, il n’y avait ni vélo, ni voiture, etc., il marchait. Cela a un nom en Sénoufo. Se rendre de son village rejoindre le village de sa femme tous les soirs ou presque tous les soirs, c’est aller Kékourougou. Kékourougou c’est aller de village en village. Vous quittez votre village vous empruntez le sentier du village de votre femme, vous allez à Kékourougou. À partir de dix-huit heures, dix-neuf heures (la nuit tombe tôt) vous pouvez voir des sortes de « lucioles » tout le long des sentiers. Il n’y avait pas de vélos et le mari a une petite lampe tempête pour s’éclairer. On voit des lumières tout le long des sentiers, cela veut dire que les gens se rendent chez leur épouse. C’est un spectacle assez curieux. Aujourd’hui cela se pratique encore, mais de moins en moins. Maintenant ils ont évidemment des bicyclettes ou des cyclomoteurs, mais c’est la même chose, on voit les mêmes lumières, sauf qu’elles sont plus rapides.

Jusqu’à un âge avancé, les Sénoufo n’ont pas de problème pour se déplacer, compte tenu de leurs activités physiques. En tant que peuples cultivateurs, ils sont de véritables sportifs. En outre, ils pratiquent beaucoup la marche. Les villages sénoufo peuvent être éloignés les uns des autres ou très proches. Quand ils sont éloignés, les Nanfanra utilisaient la bicyclette pour se déplacer. Mais comme nous l’avons dit plus haut, le village où le choix s’opérait était en général voisin de sorte qu’au cours d’une nuit, s’il se produit un évènement suffisamment grave, comme quatre-vingts pour cent des hommes valides de ce village sont étrangers venus chez leur femme et cela explique pourquoi il ne pouvait pas avoir de problème entre les villages Sénoufo. Même aux temps anciens il n’y a eu, ni de guerre civile, encore moins des guerres tribales, car si un village prend feu la nuit, les gens valides qui vont éteindre ce feu sont pour la plupart des étrangers qui sont venus voir leur femme. Il en est de même pour les villages voisins, etc. C’est ce qui fait que généralement les rapports entre deux villages sont des rapports assez sains. C’est l’avènement du multipartisme et des partis politiques avec son corolaire de problèmes multiples qui a fait naître des divisions. Traditionnellement, cela n’existait pas, d’autant plus que les villages sont souvent membres du même bois sacré. Chez les Sénoufo, toute activité sociale, religieuse et politique est régie par une institution complexe : le Poro. C’est au sein de ce système que les membres d’un clan (à l’exception de la caste des anciens captifs de guerre et des forgerons) acquièrent la connaissance des règles de vie de la société imposées à l’origine par Dieu aux hommes. Ce rituel demande une initiation très longue, parfois une vie entière pour atteindre le degré suprême de la connaissance. L’initiation se déroule sur 3 cycles de 7 ans. Il s’agit d’une société secrète, hiérarchisée en classes d’âges qui gère les connaissances traditionnelles. Ainsi, chacun fait le Poro dans le bois sacré de son oncle. Deux villages voisins ont quelquefois le même bois sacré, donc les deux communautés se retrouvent là. Le père jouant un rôle assez limité dans l’éducation de son enfant, ce dernier est donc éduqué chez sa mère, par celle-ci et par son oncle. C’est ce qui donne le pouvoir à l’oncle de corriger l’enfant qui est obligé de lui obéir.

Quand le prétendant habite aussi le village de son épouse

Dans les temps anciens, cela était rare. En règle générale, on ne se mariait pas dans le même village. Quelques rares fois, il arrive qu’un Sénoufo qui a ses origines d’un autre village, mais qui est venu s’installer dans ce village pour diverses raisons, qui travaille là-bas, qui vit là-bas, épouse une fille de ce village sinon le village est un peu comme le clan, on ne se marie pas entre nous dans le même village.

Cependant, il existe toujours une exception en tout. Par exemple un chef de canton peut décider de donner sa fille en mariage à un ami qui est dans un autre village. Dans ce cas-là, la jeune fille est conduite dans le village de ce dernier et elle reste avec lui. Ces cas sont rares, et complètement différents, mais il en existe. Il faut préciser qu’ils relèvent souvent d’une promesse. Et comme en général, en pays Sénoufo, comme partout ailleurs dans toute la société traditionnelle, la parole donnée fait acte de loi, alors, elle doit être respectée. Par exemple, un père peut promettre à son ami que si son premier enfant est une fille, il la lui donne en mariage. C’est donc dans ce village que les enfants vont et y restent. Cela est l’équivalent des mariages d’aujourd’hui où les deux prétendants quittent leur père et leur mère pour fonder leur foyer avec leurs enfants.

Conclusion

De notre point de vue, le mariage traditionnel en pays Senoufo Nanfanra est susceptible, tout comme chez tous les peuples de Côte d’Ivoire, de régler tous les problèmes que nous vivons actuellement : la citoyenneté, la nationalité, la Démocratie sur la base des valeurs culturelles.

Par Sramble

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