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Le peuplement Krobo d’Ores Krobo

Nous avons abondamment parlé du fameux peuplement Akpafu Ga Krobo Adele Avatime issu de la migration de même nom. L'un des centres de rassembement des acteurs de cette migration sera Ores Krobo ancien village unique des Krobo qui vivent à l'Ouest du fleuve Ogbo/Agbo (Agneby) et sont les voisins immédiats des Abè.

A partir d’Ores Krobo ont été créés Aboudé Mandéké et Aboudé Kouassikro. Les peuplements Krobo d’Ores Krobo et Ega dans la sous-préfecture actuelle de Guitry sont intimement liés. A Ores Krobo, il s’est opéré une généralisation des traditions d’origine rapportées par le clan Nzomon par ailleurs le plus important numériquement et que l’on retrouve dans l’ensemble des trois villages

La tradition orale des Nzomon dit que leurs ancêtres sont descendus du ciel à l’aide d’une chaîne, sous la conduite d’Adje Menimbou. Ils descendent à Ores Krobo, localité où vivaient les Kpaman, un peuple organisé qui possédait une rivière sacrée appelée Awiebè (ce terme en Anyi signifie, finir les gens) symbole de leur puissance matérielle et spirituelle. Le clan Dabou d’Ores Krobo se réclame du pays krobo en Côte de l’Or et dit avoir migré sous la conduite de Dibo Ayewra et avoir vécu avec les Nkadje dans le pays akyé. Certains Nkadje viendront aussi s’installer à Ores Krobo.

Le clan Orode originaire aussi de Krobo en Côte de l’Or a eu pour compagnons d’exode les clans Assahou et Ngo Deboussou. Ils sont passés dans la zone d’Agban où ils ont eu des altercations avec des Tchaman. Adjé Menimbou s’est montré tyranique à l’endroit de son propre peuple et des Kpaman, qui quitteront en masse Ores Krobo pour s’établir à Boussoukro/Boussoue (dans le Bas-Bandama). Le culte du génie Awiebè sera alors confié aux clans Orode et Nkadje. Mais pour ramener la paix, Adjé Menimbou sera éliminé après qu’on lui ait tendu une ambuscade.

Le personnage d’Adjé Menimbou est connu des traditions orales du village historique de Bago (ce village est important pour les Tchaman de Kossihouen et les Akandjé) sous le nom Djem Ringbou. Il est décrit comme un personnage cruel qui sera responsable des affrontements qui se produiront à Bago. Les populations de Bago vont essaimer dans différentes directions. Seuls ceux de Kossihouen resteront dans les environs de Bago. Ces informations montrent que nous n’avons pas eu tort de lier les origines des Tchaman d’Akandjé à la migration Akpafu-Ga-Krobo-Adele-Avatime. Comme on le voit les Tchaman d’Akandjé sont des Nkadjé, qui eux-mêmes ont été des compagnons d’exode des clans Orode, Assahou et Ngo Deboussou qui clament leur origine Krobo. Le clan Nzomon appartient au même exode.

Si les Nzomon disent être descendus du ciel à l’aide d’une chaîne, ils tiennent cette tradition d’origine de leur groupe d’origine en pays Krobo, en Côte de l’Or, qui n’est autre que le clan Akrade. En effet ce clan affirme que ses ancêtres sont descendus du ciel à l’aide d’une chaîne pour attérir dans deux grands récipients en cuivre (Aïwa/Ayiwa). Le chef-prêtre de ces récipients sacrés était Mante et la reine était Aberewa Sansamango. Les Akrade seront attaqués par les Akwamu qui les vaincront à Abrewabung. Ils se dispersent, certains vont à Kete Krachi et ailleurs. Les autres s’installent dans les collines Krobo où ils sont rejoints par les Krotropeli qui sont d’origine Guan comme eux. Le clan Kotropeli, une fraction du peuple Kamana qui vivait dans les collines de l’Akwapem, n’échappera pas aux attaques des Akwamu.

Akrade et Kotropeli ont précédé les Krobo qui ont donné leur nom à la région. Krobo, Adangme et Ga ont une origine commune et viennent de Lolovo (plaine de Tagulogo). Les Krobo vont accueillir des réfugiés akan d’origines diverses qui seront collectivement appelés Afutu Bréku. Remarquons ici la concordance avec le nom Otou Brekou dont se servent les Abè pour nommer les Krobo d’Ores Krobo.

Les traditions orales des Ega de la région de Guitry nous éclairent parfaitement sur l’exode Akpafu-Ga-Krobo-Adele-Avatime. En effet, les Ega de Gniama l’un des 6 villages du groupe Diès disent que leurs ancêtres sont des Ga de la région d’Accra qui ont séjourné en pays Abè. Il s’agit comme on peut s’en rendre compte de la zone d’Ores Krobo. Les Ega de Labo (Labodoukou) précisent que leurs ancêtres se nommaient La et étaient originaires du Mono une région située dans la République actuelle du Togo. C’est aussi ce que disent les Edeli, Edalow, et Evape du village d’Evape-Kpanda. Les Ega de Didizo se reconnaissent une origine Krobo et disent avoir migré sous la conduite du chef Amani Djebo. (L’on reconnaît là Menimbou Adjé ou Adjé Menimbou).

La tradition orale comme on peut le voir ici, est une véritable source historique. En effet, La l’ancien nom des Adangme (Adangbe) a été parfaitement gardé en mémoire par les Ega de Labo (Labodoukou). La racine La dans le nom de leur village ressort nettement. Les Ga-Adangme de la Côte de l’Or de même ont conservé cette racine La à travers leurs localités de Labadi, et Ladoku. Les Edeli du pays Ega ne sont autres que les Adele-Avatime un peuple Guan qui vit dans la basse vallée de la volta. Des La mêlés d’éléments Guan vont donner le sous-groupe Guan des Late. Un peuple qui vit en Akwapem où l’un de ses centres importants est Late-Anum.

Toutes les composantes de la migration Akpafu-Ga-Krobo-Adele-Avatime sont arrivées dans l’actuelle Côte d’Ivoire probablement entre 1677 et 1689 au moment du règne du roi Ansa Sasraku, fuyant les guerres d’expansion du grand royaume Akwamu. Les campagnes militaires de ce royaume toucheront les pays Ga-Adangme, Krobo, les plaines de l’Afram, les escarpements de l’Akwapem, les collines Krobo et même toute la basse vallée de la volta. Cette migration avait en son sein des groupes d’origines diverses à savoir des Krobo, Ga, Guan, Adangme et même Akan locuteurs du Twi. En effet les Okpe un clan du Krobo était d’origine akwamu. Cependant c’est la tradition d’origine des Akrade, l’origine céleste qui, a retenu l’attention de la tradition orale de maints peuples qui ont pris part à cet exode.

C’est le cas rappelons-le, des fondateurs du royaume nkwanta dans le Brong, des Nzomon d’Ores Krobo, des Ngen de l’Ano et du Wawolé, des Battra, Wamala, Akrowou et Gbomi du Wawolé. La justesse des traditions orales des Ega de Didizo est grande quand elles parlent d’une origine commune avec certains wawolé. Les Kpaman qui ont précédé Les Nzomon, à Ores Krobo étaient l’une des têtes de pont de l’exode Akpafu-Ga-Krobo-Adele-Avatime. Ils étaient des Akpafu un peuple Guan de la basse vallée de la Volta.

C’est la racine kpa de leur nom que l’on retrouve à travers Akpatifoè/Akpatoufoè, Akpati un sous-groupe de l’ensemble wawolé. On la retrouve aussi à travers le nom Kpanda. Des Kpanda vivent justement à Lehiri Kpanda (Panda) dans le pays Ega où ils se veulent des autochtones qui ont émergé de la rivière Golou. Les Kpanda sont aussi les fondateurs de Kpandadon en pays Avikam.

Les éléments d’origine Ga de cette migration ont fait transparaître leur nom à travers les Nkadjé de l’Akyé les Akandjé du Tchaman, les Ega de l’Ega et les Ngen du Wawolé. Ceux d’origine Krobo, ont fait transparaître le leur à travers les Krobo d’Ores Krobo, les Akrowou et Goli du Wawolé. Goli nous l’avons par ailleurs dit, est une déformation de Kloli le nom que se donne le peuple Krobo des hautes collines du Krobo sur la Côte de l’Or. Ores Krobo va recevoir les familles Sombro Bossou, Kouassi Bossou, Obra/Ogbra Bossou des composantes du clan Wahin que l’on a à Morié chez les Abè et dans l’Akyé. Les Wahin, appartiennent à la migration aowin de 1721.

Des clans originaires de l’Enyembe-Ogbrou (Abidji) viendront faire souche à Ores Krobo. C’est le cas des Bouadjé dont l’ancêtre se nommait Tchakara Kouassi surnommé aussi Anda. Le clan Oregbani se dit originaire de Sikensi. Le pays enyembe-ogbrou a lui-même été touché par le peuplement Akpafu-Ga-Krobo-Adele-Avatime. En effet, les Ega de Didizo affirment que leurs ancêtres ont vécu chez les Adidji, raison pour laquelle ils possèdent aussi le séké, un esprit de puissance que les Enyembe-Ogbrou vénèrent beaucoup.

Cette étude a prouvé que le peuplement de l’aire akan lagunaire a été extrêmement complexe. Chacun des peuples akan lagunaires a intégré à son domaine des éléments d’autres groupes akan lagunaires déjà constitués. Tous sont issus de la fusion de diverses communautés humaines appartenant dès le départ au domaine culturel akan pour la plupart. Cependant Odjoukrou, Aïzi, Avikam, Enyembe-Ogbrou et même Nladianbo à des degrés divers ont connu des peuplements Dida-Krou. En outre, certains migrants Krobo ne relevaient pas à l’origine de la culture akan mais Ga-Adangme.

Les données archéologiques par ailleurs limitées, permettent malgré tout d’affirmer que l’espace akan lagunaire est peuplé depuis l’époque préhistorique. Les grandes migrations dans cet espace ont été dans l’ordre les suivantes : la migration Pèpèhiri-Mekyibo au 13è siècle, la migration Akwakwa-Abrem au 14è siècle, celle des Essekpe, Akpague et Agbnan pendant la première moitié du 17è siècle, la migration Akpafu-Ga-Krobo-Adele-Avatime entre 1677 et 1689 et enfin la grande migration aowin de 1721. Le peuplement mekyibo dans la région de la lagune dwenye a eu lieu au 12è siècle. Plusieurs groupes au sein des Akan Lagunaires qui disent être des autochtones qui ne sont venus de nulle part, comme on a pu le voir sont parfois des remanences de la migration Pèpèhiri-Mekyibo, Akwakwa-Abrem ou Akpafu-Ga-Krobo-Adele-Avatime.

LOUCOU (J. N.), « D’où viennent les peuples lagunaires de Côte d’Ivoire ? », Afrique Histoire, n° 3,
1983, pp. 39-43.

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