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Les Nafana et les Dégha de la région de Bondoukou

Les villages nafana se trouvent à la fois en Côte d'Ivoire et au Ghana. En Côte d'Ivoire, et précisément dans le département de Bondoukou, les Nafana se sont installés dans les localités suivantes : Ouolo-tchéi (ou Wélékéi), Gbagnangansié, Bondoukou, Soko, Tissié et Toumogossié (pour la commune et la sous-préfecture de Bondoukou), Tambi, Gboroponko, Sangnobo et Bangounan au large de Kanguélé (dans la sous-préfecture de Sorobango), Yézimala, Gankro, Laoudi-Gan, Gbanhui et Gohondo (dans la sous-préfecture de Sapli-Sépingo).

Il convient de noter que dans les dernières localités citées dans la sous-préfecture de Sapli-Sépingo, les Nafana, organisés en quartiers, ne s’expriment plus dans leur langue d’origine mais plutôt en koulango. En dehors de ces localités, les autres Nafana s’expriment à la fois en nafana et en koulango. Au Ghana, dans l’arrière-pays de Sampa, l’on trouve le plus grand nombre de villages nafana. Les villages sont uniquement peuplés de Nafana, la langue y est encore intacte, l’islam y a fait son apparition mais l’essentiel est préservé.

Les Nafana se distinguent des autres communautés sœurs par la langue qui s’apparente beaucoup au Nafara de Sinématiali, au Kiembara de Korhogo, au Fodonon de Komborodougou ou de Dikodougou. Ils sont d’excellents cultivateurs spécialisés dans la production de la variété d’igname appelée kponan et, autrefois, dans le travail et le trafic de l’or. Quant à leurs traditions et coutumes, ils les ont empruntées aujourd’hui aux Abron et aux Koulango. Tous les Nafana indiquent qu’ils ont pour origine le Nord de la Côte d’Ivoire. D’autres, plus nombreux, mentionnent avec précision les sous-préfectures actuelles de Sinématiali, Karakoro, Napié, Korhogo. Les sages de Ouolo-tchéi, Soko, Tissié et Toumogossié, San-Poro, Bondoukou reconnaissent que leurs ancêtres fondateurs sont venus de la région de Sinématiali et plus précisément de Kagbogho.

Ils auraient quitté ce village à la suite de discordes entre familles. Quant aux sages de Tambi, ils soutiennent que leurs ancêtres sont venus de Cacalla, un village situé dans la région de Korhogo. Des travaux de recherche faits sur les Nafana confirment les témoignages des vieux. Ainsi, dans le Mémorial de la Côte d’Ivoire, tome 1, 2e édition, Ami, 1987 à la page 90 (cité par Sié Kobenan), il est écrit ceci « …Alors que certains Nafana se disent autochtones, la grande majorité se donnent une origine sénoufo. Au début du XVIIIe siècle, des rameaux sénoufo progressent vers le sud-ouest pour constituer les chefferies de Bondoukou, de Tambi et de Banda. Ils sont venus de l’ensemble du pays sénoufo (Tambi : Nafana de Sinématiali ; Soko : Tagbana de Niakaramandougou et Sampa : Djimini de Dabakala)… ».

Mais, beaucoup plus fondamentalement, l’histoire du déclin et la dislocation de l’empire du Mali au XVIe siècle avec ses implications au nord de l’actuelle Côte d’Ivoire pourraient nous aider à comprendre les raisons du départ des Nafana du pays sénoufo. En effet, la fin du XVe siècle et le XVIe siècle furent des périodes de grands remous politiques. Ces turbulences ont occasionné des déplacements massifs des populations en Afrique de l’Ouest subsaharienne. Ainsi, on a enregistré l’arrivée de populations de l’ancien empire du Mali. Il s’en est suivi une progression démographique dans l’espace sénoufo. Ce qui a entraîné des conflits de tout genre : attaque des Sénoufo par les Dioula ; au sein même des Sénoufo, des guerres de conquête du pouvoir, etc. Des populations sénoufo, paisibles agriculteurs et/ ou chasseurs, exaspérées par le climat d’insécurité permanente, ont alors émigré vers le Sud-Ouest à la recherche de nouvelles terres.

La fondation du royaume Mandé-dioula de Kong au XVIIIe siècle et les guerres impitoyables menées par Samory dans le pays sénoufo ont certainement accentué aussi le mouvement de déplacement des Sénoufo vers le sud-ouest. La migration des Nafana s’est effectuée par de petites vagues successives. D’après les témoignages, la migration nafana ne s’est pas faite de façon massive avec un seul chef. C’est par familles ou quelquefois par groupes d’individus que les Nafana ont progressivement occupé les terres qui sont les leurs aujourd’hui. Chaque famille a occupé en toute indépendance et en toute autonomie une portion de terre sans heurt et sans combat, l’espace étant pratiquement vide d’hommes. Deux conclusions découlent de cette déclaration à savoir que les Nafana font partie des premiers peuples à s’installer à Bondoukou et que les Nafana ne dépendent pas d’un seul chef.

Les Nafana de Bondoukou situent leur présence sur leurs terres actuelles longtemps avant l’entrée en scène des Abron. C’est même le chef nafana de Bondoukou, Noleh Akomi, qui aurait accueilli le Gyamanhene Tan Daté qui conduisait la migration abron. Et c’est encore lui qui aurait indiqué l’emplacement actuel du village Zanzan au Gyamanhene. Selon le révérend père Jacob (cité par Sié Kobenan) qui a prêché dans les régions de Bondoukou et Tanda de 1930 à 1938, « les Nafana, peuple pacifique de chasseurs, cultivateurs et de chercheurs d’or, sont arrivés sur leurs terres actuelles au XIIIe siècle ». Enfin partout où ils se sont installés, ils sont les propriétaires terriens sauf à Gbanhui, Yézimala, Gondo et à Laoudi-Gan où les Nafana ont trouvé des Koulango qui leur ont donné des terres. Parmi les peuples les plus anciens à s’installer dans le département, on peut compter les Koulango et les Gabin, tous issus du grand groupe sénoufo. Au regard de ce qui précède, on constate que les Nafana ne dépendent pas d’un chef. Les Nafana n’ont pas de roi. L’autonomie et l’indépendance caractérisent les villages nafana. Il n’existe pas de relations de soumission, d’allégeance, de vassalité encore moins de suzeraineté entre les villages. Il n’existe pas non plus en pays nafana un chef de province, à fortiori un roi, c’est- à-dire un chef qui coifferait un ensemble de villages à lui soumis.

Chaque village a son histoire, son territoire, son ancêtre fondateur et ses descendants. Les relations sont fondées sur la fraternité et le respect des différences. À l’instar de leurs frères koulango qui ont réussi à désigner un chef suprême, les Nafana tentent depuis quelques années de se donner un chef. Mais cette tentative n’a pas encore connu un aboutissement heureux à cause de l’indépendance affirmée des villages. Les Dégha sont peu nombreux puisqu’ils n’occupent dans le département que trois villages, plus un certain nombre de petits villages de l’autre côté de la frontière du Ghana4. Le nom qu’ils se donnent eux-mêmes est « Déghi » au singulier, « Dégha ou D’ga » au pluriel.

Les Dioula les appellent Diammou (au pluriel Diammourou), les Abron Mô et les Koulango et les Nafana Bourou. Selon certains ethnologues, la langue dégha se rapproche du gourounsi (peuple du Burkina-Faso), avec une assez forte influence dagari surtout dans les noms des nombres. Outre leur langue, beaucoup d’entre eux comprennent le koulango. Les Dégha sont venus à une époque fort lointaine d’un pays situé de l’autre côté de la Volta noire et dans le nord, probablement dans le Gourounsi, en même temps sans doute que la tribu des Siti ; sous la poussée d’une invasion dagari, ils furent refoulés jusqu’au sud de Bôlé, passèrent la Volta et fondèrent dans le nord-est et l’est de Bondoukou quatre agglomérations dont trois subsistent encore.

L’un des chefs de la migration, nommé Sâfou, fonda à l’est de Bondoukou un groupe de cinq villages qu’il appela Guioboué (village des Guio, du nom de la famille dégha à laquelle il appartenait). Les autres colonies dégha sont Guiarhala ou Zaghala (au nord-est de Tambi) et Ouriké (appelé Bourou ou Bouro ou Bo par les Nafana et Motya ou Motya-mo par les Abron). Quant à la quatrième colonie elle se trouvait à Pédago (appelé Bouroukpoko par les Nafana et Mô par les Abron), entre Tambi et Sorobango ; mais les Nafana de Yakassé étant venus s’établir à Pédago à la suite de la destruction de leur village par les bandes de Samory, les Dégha leur cédèrent la place et se replièrent sur Guiarhala ou Zaghala. Les Dégha, d’après leurs propres traditions, seraient venus il y a fort longtemps des plateaux de la Haute-Volta, du Gourounsi probablement ; leur dialecte a en effet de nombreux rapports avec la langue de ce pays et leur type rappelle beaucoup celui des Dagari du nord.

À quelle époque se firent d’une part la descente des Dégha du Gourounsi, d’autre part leur refoulement par les Dagari et leur installation dans le pays actuel ? C’est ce qu’on ne saurait indiquer. Les Dégha d’Assafoumo (Bouroumba) déclarent seulement qu’ils sont venus dans le pays alors que les Koulango et les Nafana y étaient déjà installés, mais avant les Abron. Les Dégha de Motiamo disent venir, eux, de Boudigué à côté de Foughoula. Ils firent ce changement de résidence à l’époque abron sous la conduite de Gamboli, bien postérieur à Safou, qui eut pour successeurs Kossiéma, Kotia et Sassamboto. Là aussi il y a sans doute des chefs oubliés.

De plus l’émigration de Boudigué à Motiamo ne fut qu’un changement local qui n’a rien à voir avec l’immigration générale dans le pays. Les Dégha furent tour à tour, et plus ou moins partiellement, sous les dominations ligbi, abron et ashanti. Les Dégha sont fétichistes. Ils font des sacrifices au Dieu du Ciel ou DieuAtmosphère et ils en font également à la Terre. Les Dégha possèdent de nombreux fétiches ou dieux personnalisés, plus ou moins puissants, qu’ils semblent avoir empruntés à leurs voisins Abron, Koulango etc. Les Dégha semblent avoir eu autrefois des sociétés secrètes ban.

Source : AKA Konin

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